LECTURE SCÉNIQUE DES CAHIERS DE NIJINSKI
© Bohumil KOSTOHRYZ boshua
Vaslav Nijinski est le seul danseur de l’histoire qui fût considéré comme un génie. Pourquoi ? D’abord parce que ses chorégraphies furent révolutionnaires : L’Après-midi d’un Faune, pour ne prendre que cet exemple, fut l’équivalent en danse du cubisme en peinture ou bien de l’art abstrait. Ensuite, parce qu’à l’idée de génie s’attache souvent celle d’anomalie mentale, quelque forme qu’elle prît. Ainsi, l’homme de talent s’avancerait sur un étroit sentier entre deux abîmes : la dépression accablante et la témérité effrénée. Or Nijinski connut ces deux états, lui qui passa de la fièvre créatrice à la sombre hébétude. Il mourut, en effet, fou.
Dans ses cahiers, sorte d’auto-analyse rédigée pendant les six semaines précédant son premier internement, il se dévoile en tant qu’homme souffrant, fragile, éperdu d’amour et de désir. Son écriture s’affirme par le refus de toute rhétorique : certaines phrases sont mal structurées, l’ensemble fut probablement rédigé au fil de la plume et la progression dictée par des associations d’idées bien plus que par la logique. D’où un effet saisissant : alors même qu’on croit partager une intimité d’ordre « psychologique », Nijinski nous parle de son rapport à Dieu, à la Nature, au Sentiment et à l’Homme – toutes choses qui dépassent largement le plan des seules opinions, des seules émotions et de la psychologie.
La danse possédait Nijinski toujours et tout entier. Il n’est donc pas surprenant que l’écriture ait été pour lui un prolongement de la danse : elle est vécue par la chair. Partant de cette idée, Sylvia Camarda et Jérôme Varanfrain donneront corps et voix pour exprimer tant la richesse que la complexité de ce langage charnel et personnel, forgé par des expériences dont aucune expression classique ne peut rendre compte.
Distribution :
Traduit du russe par Christian Dumais-Lvowski et Galine Pogojeva
Mise en scène : Jérôme Konen
Chorégraphie : Jean-Guillaume Weis
Direction et création musicale : Emre Sevindik
Avec : Sylvia Camarda, Jérôme Varanfrain
Coproduction : Mudam Luxembourg, TROIS C-L